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LA PRINCESSE ET LES LOIRS DE GRENIER
Il était une fois une princesse qui ne pouvait plus dormir.
C’était nouveau pour elle, ces insomnies. Sans doute liées à la puberté disaient ses parents. Cet âge expose à tant de soucis, de déprime, bref, les hormones. Tout ça n’est que provisoire. Il suffit d’être patiente.
Mais nous, on sait aujourd’hui que tout ça, n’était venu que par la négligence de parents débordés voire vaguement rejetant (elle était la 8eme princesse de la famille, et ça commençait à bien faire les bébés.) donc le roi et la reine n’avaient pas fait attention et avaient laissé entrer des sorcières près du berceau, ou peut-être était-ce les grandes sœurs jalouses de ce nouveau bébé, on ne sait pas au juste. Toujours est-il qu’elles avaient bien rigolé, en lui envoyant des sorts du style avoir des cheveux roux, attraper des coups de soleil, être gentille avec tout le monde, ne jamais être en colère, se sentir coupable des malheurs du monde, bien obéir aux plus grands, travailler dans une préfecture, être accro au tabac, être nulle en cuisine et couture, pour finalement dormir comme un loir pendant tout un hiver et se réveiller dans les bras d’un prince inconnu etc…
Elles riaient bp, les sorcières. Elles n’étaient pas si méchantes au fond. Elles avaient prévu cette fin pour adoucir le reste. La princesse n’est pas au courant du début du conte. Elle a tout fait comme prévu et ça lui va à peu près, sauf que maintenant elle devient grande et ne pas dormir, ça mine un peu le caractère bienveillant que lui ont donné les sœurs sorcières. Elle se sent un peu grognon par moment. Ce qui n’est pas dans son caractère. Tout cela met du vague à l’âme.
Comme elle ne dort toujours pas, elle s’ennuie et décide de marcher un peu dans les couloirs du château.
C’est un vieux château pas vraiment confortable. Le parquet grince, Les loirs batifolent dans le grenier. Évidemment, elle comprend ce qu’ils disent puisque c’est une princesse dans un conte merveilleux. Elle les écoute distraitement comme d’habitude. Elle entend le plus ancien qui dit aux autres
- la princesse va dormir et enfin rencontrer son prince charmant
- C’est quoi un prince charmant
- Un homme qui envoie des sortilèges, et après sa femme est folle de lui toute sa vie.
- Ce qu’ils peuvent dire comme bêtises ces loirs ! pense la princesse, qui ne se
doute de rien, mais décide d’aller les faire taire. C’est sans doute à cause du bruit qu’ils font qu’elle n’arrive pas à s’endormir.
Elle remonte au grenier. Derrière la porte, le vieux loir s’enfuit en faisant dégringoler une étagère chargée de livres La princesse reçoit sur la tête un vieux livre à moitié dévoré par les dents voraces… Celui, sans doute que le vieux loir était en train de montrer aux autres. C’est un livre d’images, puisque les loirs s’ils savent parler ne savent pas lire. Il est encore ouvert, alors elle regarde…
Et la princesse comprend tout. Elle est maline la princesse, mais elle est surtout, à ce moment-là , plutôt sonnée et un peu colère. Elle exige de voir l’auteur de cette histoire idiote, et les sorcières ou les sœurs, et le prince charmant aussi, tant qu’on y est. Elle a 2 mots à dire à tous ces gens qui ont décidé de sa vie et conditionné son destin. Par amour ? Tendresse ? Haine ? Désir ? Bêtise ? Un peu de tout ça sans doute. C’est compliqués les destins, C’est remuant…
Évidemment l’auteur étant mort depuis longtemps, il ne vient pas. Les parents sont toujours débordés par les trop nombreux bébés, pas moyen de les convoquer à cette heure-ci. Les sorcières sont parties très loin pour attaquer d’autres innocents et les sœurs, les sœurs, on verra plus tard quand elles reviendront du bal. (Dans les contes les sœurs sont souvent au bal.) Le prince charmant, lui, n’en mène pas large. Il se planque dans les dernières pages, définitivement mangées par les loirs, et c’est heureux pour lui, car la princesse songe à lui faire subir des trucs désagréables, genre lui demander de s’expliquer, de s’excuser, de ne plus jamais…, de laisser les princesses tranquilles. Bref, elle a plein d’idées pour le prince…
Et voilà qu’elle se met à rire, très fort et très longtemps et c’est si bon qu’elle ne peut plus s’arrêter. Elle s’entend penser « C’était donc ça, l’amour des autres ? Juste une façon de la faire se tenir tranquille ? Tout ça n’était que des bêtises, des petites méchancetés, des jalousies, des mini plaisirs de domination. Et le reste n’était qu’illusion. Il n’y a pas de prince charmant, pas de sommeil tout un hiver, et tu es un peu méchante aussi, et les malheurs du monde tu n’y es pour rien. ».
Et ça fait comme un gros sac d’obligations et de peurs qui tombe doucement sur le parquet du grenier, elle se sent légère et libre, et autre…
Elle dit merci aux loirs qui n’en demandaient pas tant. Elle se met encore en colère contre les sorcières, mais pas trop, c’est trop tôt encore pour être vraiment elle. Elle a un peu peur de ce qui l’attend. Sortir du sortilège, c’est délicat, surtout pour une princesse qui n’a pas rêvé depuis si longtemps.
Elle descend l’escalier en courant. Elle se glisse dans son lit et dort d’un grand sommeil de plomb et de rêves.
Demain, il fera jour.
Viviane Baubry
Colas Baillieul
Odile Merlin
Marie-Laure Gerin
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Mise à jour :mardi 28 janvier 2025 | Mentions légales | Plan du site | RSS 2.0