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Grog le moineau
Tchip tchip, Je vous écris en oiseau depuis la brasserie du 4eme. C’est le Q.G. de mon groupe. On est nombreux ici, à profiter des innombrables miettes que perdent sans le savoir les humains du coin.
Je n’ai jamais volé beaucoup plus loin que le toit du Royaume de la chantilly au sud et la pharmacie népenthes au nord. Mais échapper aux enfants, aux adultes, aux mobylettes et aux voitures m’oblige à voleter souvent, et vite. Ça m’évite de grossir exagérément comme certains de mes collègues qui se contentent de faire la navette entre les tables du bar et les arbres de la place.
Je suis né sur le toit de la façade de Weldom. Un nid douillet dont mes parents nous ont jetés sans ménagement mes frères et moi après 20 jours de nourrissage. C’est comme ça chez nous. On est jeté vite dans le monde, pour faire la place à la prochaine portée...On naît souvent et on meurt vite. On se remplace. On vit comme ça, l’un après l’autre, sans émoi particulier, sur une branche, comme dirait le poète. C’est un peu pour tout le monde pareil, mais chez nous ça va plus vite. Au début, quand on est virés du nid, on ne sait pas encore très bien voler. J’ai eu la chance de tomber sur un platane, hors de portée des humains et caché du monde de dessous par les feuilles du printemps qui venaient de poindre. Plusieurs des miens se sont fait manger par un chat ou écraser par une voiture. Mais ici, c’est plutôt tranquille, et la nourriture est tellement abondante qu’on ne peut pas se plaindre.
Les humains du secteur sont assez sots, mais ils ne nous sont pas hostiles. Pas comme mes parents de la campagne qu’on effarouche avec des épouvantails quand on ne les abreuve pas de poisons divers. J’ai appris qu’autrefois en Chine, on a massacré des millions des nôtres, sous prétexte qu’on mangeait trop de graines de blé et de maïs. Les humains étaient affamés, eux aussi. Après ça, les insectes ravageurs et les vermines ont ravagés leurs cultures. Pas bien malins les humains parfois.
Ici, personne ne nous pourchasse. Excepté les chats. Heureusement, dans ce quartier, la plupart sont enfermés dans les appartements. Mais il y en a toujours quelques-uns en liberté. Les chats d’ici ne manquent de rien. Ils chassent et tuent pour le plaisir, comme leurs maîtres humains. Ils grimpent aux arbres, et même si après ces abrutis ne savent pas en redescendre, ils attrapent les distraits et les fatigués. Il nous faut toujours être aux aguets, nous les moineaux.
Mon pb du jour c’est faire un nouveau nid et trouver une moinelle qui accepte de venir y faire sa vie avec moi. On est fidèles chez les moineaux, mais les moinelles sont difficiles. J’ai fabriqué un nid de plume, laine, carton et mini cailloux sous une tuile du bar et jusqu’ici, malgré mes efforts et mon chant en continu, aucune ne s’y est attardée.
Sans moinelle que vais-je devenir ? la vie d’un moineau c’est picorer, grandir, attendre l’âme sœur, se reproduire, et toujours en chantant, pépiant, picorant, voletant. C’est une vie remplie, courte et fatigante, sans autre but que d’être là. Se sentir vivant, attendre et inviter la femelle et pour elle, choisir un beau moineau, chatoyant et bon chanteur. Pondre les œufs, chercher les graines, vivre et recommencer.
Moineau des villes c’est une bonne vie. Et comme on est tous très beaux et très bavards, qu’on ne sert à rien d’autre qu’à enchanter la vie. On est juste un cadeau du ciel.
Colas Baillieul
Marion Agostini
Viviane Baubry
Marie-Laure Gerin
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