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La maison des pleurs
C’est une jolie bâtisse ronde, agrémentée d’un jardin ; Un peu à l’écart de la ville, pour ne pas déranger les « voisins vigilants », les tags racistes ou moqueurs, les poubelles éventrées, les voitures en double file et tout ce qui fait la tristesse des villes.
Dans la maison des pleurs, on a tenté l’autogestion. Mais il a fallu mettre un peu d’ordre. Elle se ferme tard le soir, mais elle ferme quand même un peu. Il faut aussi que les gens se reposent de leur tristesse. Et puis, ce n’est pas facile de mélanger les tristesses. Il y a des étages.
Une allée de pins nous mène à une porte en bois. Au rez de chaussée une grande salle commune agrémentée de fleurs en pots et d’affiches colorées.
Celle-là c’est un lieu pour ceux qui sont difficiles à aimer. Les grognons, les moches, les sots, les inutiles, les vieux, les peureux. Ceux qui radotent tout le temps sur leur malheur, ceux qui ne savent pas comment on fait dans les relations sociales, qui se trompent tout le temps d’ennemis, d’amis. Ceux qu’on évite ou, à qui on dit tout le temps « excuse-moi, mais je n’ai pas le temps, là ; On se voit plus tard ». Ceux qui ont des petites peines ou des grosses peines non reconnues. Un deuil trop ancien pour être considéré, un mal de vivre que rien ne peut expliquer, des regrets ressassés, une rengaine de mini malheurs qui leur sont indispensables et insupportables. Ils pleurent tous ensemble, avec leur rage, avec leur bonheur, avec leur perte, avec leur rien. Ils se regardent, ils apprécient. Ils sont presqu’heureux l’espace d’un cri et ça leur fait drôle d’être presqu’heureux. Laissons-les là tranquilles, à jouir de leurs malheurs énormes et minuscules. Ils sont bien. Montons doucement à l’étage.
Celui des vraies peines, reconnues valables et agrées une fois pour toute par tous. Un deuil récent, une maladie qui n’en finit pas, une histoire déglinguée, une humiliation qui se répète, un abandon féroce. Une vraie peine qu’on peut identifier et pleurer sans honte. Victimes de l’Histoire, du sort du réel, de l’autre, d’eux-mêmes. Ils pleurent plus doucement que les mal aimés, plus reconnaissants à l’institution qui leur permet de s’épancher. Ils restent moins longtemps, juste le temps que ça s’apaise. Car pour eux ça ne jouit pas ça s’apaise doucement. Bien sûr, juste pour un moment, ils reviendront.
On ne peut pas mélanger toutes les peines. C’est pour cela qu’il y a un étage. Pour ne pas comparer, hiérarchiser, expliquer, soigner. Parfois, gros et petits malheurs se ressemblent. Mais pas toujours. La tristesse, c’est comme la vie. C’est compliqué.
Mise à jour :samedi 9 novembre 2024 | Mentions légales | Plan du site | RSS 2.0